La Ligne Rouge

Réalisé par Terrence Malick
Scénario de Terrence Malick d'après le roman de James Jones.
Musique de Hans Zimmer.
Directeur de la photographie : John Toll.
Avec Sean Penn, Jim Caviezel, Elias Koteas, Ben Chaplin, Nick Nolte, Dash Mihok, Woody Harrelson, John Cusack, John Savage, Adrian Brody, John C.Reily...

Bande annonce (déjà magnifique) :



La bande son, sublime.

Synopsis : En 1942, Américains et Japonais s'affrontent sur l'île de Guadalcanal. La compagnie Charlie débarque sur l'île pour y capturer la colline 210, aux mains des Japonais et lourdement fortifiée... Au milieu d'une nature extraordinaire et périlleuse, une bataille sanglante se prépare dans laquelle ils vont tous changer.

Note : 19.5/20 (car aucun film n'est parfait...)
5 étoiles sur 5 : *****

Critique : Il existe des réalisateurs exceptionnellement connus, qui tournent comme ils respirent, dont la moindre production ou réalisation attire le feu des projecteurs et les louanges de la presse – pas forcément à tort, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit - cinématographique ou non : Steven Spielberg, Quentin Tarantino, Martin Scorsese ou Ridley Scott, entre autres, sont de ceux-là. Et puis il y en a un, ô combien plus discret, qui depuis 1974 n’a tourné que quatre films, qui mériterait tout autant, si ce n’est plus, les feux de la rampe et la reconnaissance des médias, si ce n’était sa nature totalement atypique : Terrence Malick. « Badlands », « Les Moissons du ciel », « Le Nouveau Monde » sorti en dernier, et « La Ligne Rouge » : ce sont ses quatre films, et ils paraissent tous être de réels chefs-d’œuvre dans leur genre. « La Ligne Rouge » est un film de guerre, mais il mériterait bien davantage l’appellation « philosophique » : délaissé par les critiques, vaincu aux Oscars par le soldat Ryan mais décoré par l’Ours d’Or du Festival de Berlin, il mérite une attention et une reconnaissance bien plus immense que celle accordée jusqu’à maintenant à ce prodige cinématographique.
L’histoire, un peu différente du film de guerre classique car concentrée sur une unité plutôt que sur un personnage principal ou un groupe restreint de combattants, diffère car elle ne traite ni de faits d’armes héroïques, ni de simples affrontements avec l’ennemi – ici les Japonais : on vit parmi les soldats, on partage leurs pensées (les voix-off sont très utilisées, sans la moindre lourdeur) et leurs appréhensions – réellement, je veux dire ; chacun des hommes est une personne, un personnage principal, mais absolument pas un héros. Entre le capitaine trop gentil et soucieux de ses hommes, le sergent cynique, le fantassin idéaliste, le mari qui trouve son courage dans sa femme qu’il veut revoir, le petit jeune qui se vante avant de devenir un meurtrier sans états d’âme… Les personnages peuvent paraître classiques, mais sont en réalité totalement atypiques, et c’est là le génie de Terrence Malick. Aucun n’est un surhomme, un génie ou un parangon de quoi que ce soit : ils sont des soldats expédiés dans un endroit qu’ils ne connaissent pas, menés par un colonel obsédé par son avancement mais pathétique en même temps, attaquant une magnifique colline dont on ne comprend absolument pas l’intérêt stratégique dans « tout ce massacre » comme le dit Sean Penn… Les sentiments des uns et des autres sont extraordinairement bien montrés – mention spéciale à la scène dans le bateau, avant de débarquer : seuls « Apocalypse Now » et « Au-delà de la Gloire » ont réussi à montrer aussi bien la peur, la trouille qui vous prend aux tripes, l’appréhension, l’angoisse. Un doublage parfait ne dénature en rien le film, et des acteurs connus – Sean Penn, Nick Nolte, Ben Chaplin, Woody Harrelson, Jim Caviezel – ou qui le sont moins – Elias Koteas, Dash Mihok, John Cusack – mettent en œuvre un tel jeu, d’un tel naturel, que même le plus discret mériterait un Oscar. Cependant, les interprètes ne sont pas seuls à faire de ce film un chef d’œuvre extraordinaire : il fallait aussi l’inimitable patte de Malick.
La nature, paradisiaque et merveilleuse, se mêle à l’histoire, toujours présente, magnifiquement filmée – chaque plan est un véritable tableau de maître : avant chaque scène et pendant celles-ci, des plans fixes nous montrent tout la beauté de Mère Nature, avec derrière le nostalgique souvenir d’un paradis perdu, repris par le personnage de Witt, interprété par Jim Caviezel. Des passages furtifs de papillons, d’oiseaux ou de serpents se mêlent à la furie des hommes, assassins de leurs semblables et de cette nature qui les abrite. Cette beauté environnante laisse les soldats tantôt indifférents, tantôt pensifs, et permet une réelle réflexion sur le fragile équilibre entre l’homme et la nature, et notre place là-dedans. L’île de Guadalcanal est un enfer et un paradis, avec ses paysages étranges et superbes, capturés par une caméra maniée comme un pinceau dans une main de maître. Cette maîtrise se répercute dans les autres scènes : jamais un seul plan n’est hésitant ou tremblant, même dans les séquences de bataille – mention spéciale à l’assaut du campement japonais : même le Seigneur des Anneaux n’offre pas une telle clarté dans des scènes dont se dégage une impression de chaos, mais proposée d’une telle façon que rien ne manque, rien ne gêne, rien n’est à côté ou raté. L’on peut également noter que Malick, en nous présentant les populations locales ou l’ennemi japonais, est également différent : les Mélanésiens ne sont pas des arriérés ou des primitifs, mais des hommes, parfois complètement indifférents au conflit, ou au contraire impliqués dans cet affrontement, sans pour autant être forcément appréciés des Américains. Idem avec les Japonais : le cher vieux cliché du fantassin jap suicidaire ou fanatiquement loyal est éventé ; ce sont eux aussi des soldats, mais pas des machines ou de la chair à canon. Ils nous sont montrés comme les boys, avec des sentiments : la peur, la tristesse, la honte, le désespoir. Ils se battent avec acharnement, mais plus parce qu’ils n’ont rien à perdre que parce qu’ils sont fanatisés ou bestiaux. Certes, c’est l’ennemi, et ils ont commis des atrocités ; mais les G.I sont bien montrés comme les détestant, les brutalisant, les insultant comme s’ils étaient inférieurs. D’autres films le montrent peut-être, mais probablement pas aussi justement.
Le « réalisme », si cher à nos critiques et au public, n’est pas le même ici. Pas de cadavres déchiquetés, d’entrailles exposées à la caméra, de membres arrachés ou de crânes transpercés de balles : l’horreur et la violence sont montrées d’une façon plus subtile et ô combien plus poignante, de manière plus imagée. Ainsi, Malick préfère nous montrer des fantassins nettoyer la toile des brancards aux pieds d’une petite cascade, sous un brillant soleil, des arbres et des escarpements aux alentours : la nature est troublée par le sang qui coule dans l’eau claire de la rivière, par des fantassins salis et fatigués qui frottent avant de partir transporter d’autres blessés. De même, cette conversation entre le capitaine et un infirmier, qui contemple impuissants un blessé condamné qui hurle devant eux, sans pouvoir le ramener à l’arrière, et en train de discuter sur les doses de morphine à lui laisser pour qu’il ne meure pas trop douloureusement. Le réalisme est ailleurs, mais il en est d’autant plus complexe et moins facile ou évident. Et pour la violence ? Un caporal qui devient fou de voir tomber tous ses hommes sans que rien lui arrive, deux sous-officiers fumant une cigarette devant des jeunes types en train de mourir sur leurs lits de fortune, ou un fantassin mourant dans les bras de son meilleur ami, sous les yeux de son capitaine affligé et impuissant. Cela, c’est du film de guerre.
On y ajoute la musique de Hans Zimmer, absolument sublime, la meilleure qu’il ait faite à mon avis, une fin magnifique et dure, des chants mélanésiens déchirant de beauté, une réflexion profonde et réelle, pas juste deux trois discours usités pour faire intello ; et c’est ainsi que Terrence Malick nous offre une leçon sur la guerre, une leçon sur la nature, une leçon sur la pensée humaine. Et aussi, tout simplement, une leçon de cinéma.

Belle critique...

J'ai bien sûr souvent entendu parler de ce film... mais je ne l'ai jamais vu.
Lorsque je le verrai je te dirai ce que j'en pense.
J'espère juste que Malick maîtrise mieux son sujet que dans "Le Nouveau Monde"...

Mon avis sur "Le Nouveau Monde" est posté, et j'ajouterai que Malick y maîtrise parfaitement son sujet.
Quant à "La Ligne Rouge", le fait est qu'il est dans le même style, l'histoire d'amour en moins. Malick y est encore meilleur.

Je le vois ce week end, je vous dirai ce que j'en pense ^^

Personellement, je lui aurai mis 14,5 ^^
Pourquoi?
Deja, c'est clair, c'est du Terrence Malick pur jus. En un mot, c'est sublime. Certains moments sont pleins de poèsie (surtout la 2eme partie et le tout début à vrai dire). On retrouve ses prises de vue poètique (oui je sais, je me répète,mais je trouve qu'il s'agit du mot le plus adapté). Il est le seul à se concentrer sur un papillon entre deux combats... Et que dire de la musique? Hans Zimmer nous en livre un de ses plus belles. Apaissante, calme, lyrique... On reconnait sa marque, même s'il sait faire quelque chose d'original (j'ai trouvé que cela ressemblait parfois à celle du Dernier Samourai, surement à cause de l'inspiration orientale). Les acteurs sont également très bon, et certains scènes sont particulèrement émouvantes (j'ai eu une petite larme lors des scènes avec les japonais, particulièrement pathétiques!)
Cependant... Et bien, pour moi, cela reste un film de guerre... Même s'il est beau, il n'est pas si original, surtout dans la 1ere partie, soit les scènes de bataille. On retrouve l'idée des films de cette génération, ou qui suivent, que se soit le Soldat Rayan ou encore Lettres d'Iwo Jima, et j'en passe et des meilleurs. En clair, on montre les souffrances des soldats, plutot que leurs faits héroiques (du genre soldat tout blanc tout gentil mais grands guerriers...). C'est sur, c'est très émouvant, on a de la peine pour eux, mais on a déjà vu ça!
Donc, un bon film de guerre, assez original à certains points de vue, original, poètique (Terrence Malick quoi...), mais ca reste un film de guerre ^^

D'après ton avis Niko, on a l'impression que le film est paradoxal: à la fois très original et pas du tout! C'est ça?^^